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Duchamp, Man Ray, Picabia

Londres, Tate Modern, du 21 février au 26 mai 2008.

« Ah, les sacrés farceurs ! », « Quels incurables polissons ! », telles sont les exclamations que ne manqueront pas de formuler intérieurement un grand nombre de visiteurs devant les œuvres de cet égrillard trio exposées à la Tate Modern [1] – et nos joyeux lurons approuveront sans aucun doute avec ravissement du fond de leur tombe. Rien ne serait pire en effet que de prendre des airs compassés, ceux que l’on croit de rigueur quand on est devant « les chefs d’œuvre de l’art mondial », et de jouer les fins esthètes devant ces pieds-de-nez de potaches, ces canulars subversifs et ces provocations grossières destinées à « choquer le bourgeois ». Pour ne pas tomber dans le piège si bien décrit par Andersen dans Les habits neufs de l’empereur, il faut s’efforcer d’entrer dans leur jeu, de s’en faire le complice et non la dupe.


1. Marcel Duchamp (1887-1968)
Fontaine, 1917, réplique de 1964
Faïence, 36 x 48 x 61 cm
Londres, Tate
Photo : Succession Marcel Duchamp/ Paris and
DACS, London 2007
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Que veulent nous dire ces sympathiques galopins ? Justement que « les chefs d’œuvre de l’art mondial » ne sont pas – ou plus – pour eux. Pourquoi ? Parce qu’ils ne reflètent aucunement la seule chose qui compte fondamentalement, à savoir leur angoisse métaphysique. Leur dérision est la dérision du désespoir. La langue anglaise a une expression employée le plus souvent sur un ton réprobateur, anything goes, qu’une traduction par « tout se vaut » (parce que « tout a foutu le camp ») ne rend que partiellement. On peut soutenir que le raisonnement de ce trio de désespérés est fondé sur l’idée que si l’héritage de la pensée platonicienne sur le beau et le vrai, les « valeurs » bourgeoises qu’ils exècrent car elles ne répondent aucunement à leur angst n’ont plus cours, c’est en les brisant qu’on trouvera peut-être – bien qu’ils n’y croient guère – un matériau propice à exprimer leur mal de vivre. Et si « tout se vaut », pourquoi un urinoir (ill. 1) ne pourrait-il être présenté comme une « œuvre d’art » – expression qu’ils ne reprennent à leur compte que pour mieux la subvertir ?

Le catalogue rappelle fort opportunément les circonstances de sa « création », qui soulève toutes sortes de questions sur la notion « d’œuvre d’art » – toutes plus difficiles les unes que les autres si l’on veut dépasser le stade trop facile du ricanement de l’illettré [2]. Or, ces questions ne cessent de revenir à l’esprit du visiteur au fil de son parcours. Se faire une opinion sur le statut de ce fameux urinoir, c’est se faire une opinion sur la « valeur artistique » (là encore une notion qui n’avait aucun sens pour le trio) de tous les ready-mades (apparemment Duchamp a lancé le mot en anglais et il est resté, même en français) qui figurent dans le reste de l’exposition.
Sa conformité aux canons de l’esthétique occidentale est indubitable : les courbes sont harmonieuses, le galbe des formes parfait, la symétrie d’un classicisme hérité de…

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