Gadagne : visite d’un musée sans collections exposées (1)

9 9 commentaires Toutes les versions de cet article : English , français

L’hôtel Gadagne, musée de l’histoire de Lyon, fait beaucoup parler de lui depuis son complet réaménagement. Les polémiques portent surtout sur la manière dont une partie du parcours revisiterait l’histoire de la ville à sa manière, fortement partisane. Nous ne rentrerons même pas dans ce débat, qui n’est pas l’essentiel. La muséographie du Musée Gadagne - et le bâtiment lui-même - avait déjà été très mise à mal lors des précédents travaux dont nous avions parlé ici. Ce n’était guère brillant, mais c’était encore un musée.

Et si le nouveau parcours est choquant, c’est pour des raisons beaucoup plus graves. Tout simplement parce qu’on n’y voit à peu près rien des importantes collections que conserve Gadagne. Qu’est-ce qu’un musée qui ne présente pas ses œuvres d’art au public ?
Le meilleur moyen n’est-il pas d’illustrer le parcours par l’image ? C’est un peu long et très vide, souvent grotesque Mais cela permettra à chacun de se faire son idée. On se demande comment la direction régionale des affaires culturelles a pu valider un tel projet scientifique et culturel (qui n’a pas grand chose de scientifique, et encore moins de culturel). Rappelons que la loi musée impose à ces établissements quatre missions, dont celle de « rendre leurs collections accessibles au public le plus large ». Le nouveau musée Gadagne fait tout l’inverse.

1. Premier panneau du parcours permanent du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Le panneau d’entrée de la première section (il y en a quatre) est déjà discutable puisqu’il utilise l’écriture inclusive (ill. 1). Le directeur du musée, Xavier de la Selle se défend - nous lui donnerons plus longuement la parole dans un prochain article (car nous sommes obligé de feuilletonner, sinon le lecteur se lassera) - en disant que celle-ci n’est employée que de manière ponctuelle. C’est encore trop, et ce n’est guère cohérent. Même en oubliant cette question, le texte est d’une nullité abyssale. Qu’on en juge. À la question (que peu de gens se posent, car elle ne veut rien dire) « Peut-on définir Lyon ? », voilà ce que répond ce panneau : « Lyonnais·e ou non, nous avons en tête des images et des objets, des lieux ou des personnalités qui nous font penser à Lyon. Ces symboles disent quelque chose de l’identité de la ville, mais ce sont parfois des lieux communs ou des clichés. Comme toutes les villes, Lyon se métamorphose sans cesse. Pour saisir son « âme », il faut parcourir ses quartiers aux ambiances différentes, observer son architecture et les petits riens de la vie citadine ».

Il n’y a pas une grande ville de France ou même du monde à qui ce texte d’une pauvreté d’inspiration affligeante et pleine, justement, de « lieux communs et de clichés », ne pourrait s’appliquer. Rappelons qu’une des autres missions des musées, selon la loi, est de « concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture ». On s’interroge : de quelle culture parle-t-on au Musée Gadagne ? Car on n’est ici qu’au tout début d’un long calvaire qui n’a pas grand chose de culturel.


2. Première salle du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
3. Première salle du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

4. Le maillot de l’Olympique lyonnais exposé au Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

La première salle est coupée en deux partie (ill. 2) et à peu près vide. On y voit néanmoins sur un mur un plan de la ville, si on peut l’appeler ainsi car il est presque aussi vide que la salle. Sur un autre (ill. 3) une immense photo s’intitulant : « Une curieuse histoire de Lyon ». Le cartel indique son sujet : « Les six personnes de l’histoire de Lyon regardent avec délectation et fierté les grands symboles de la ville et présentent au monde les petites scènes de la vie citadine ». L’auteur est Stéphane Casali dont une recherche sur internet permet d’apprendre qu’il est un « photographe en costumes d’époque ».
Plusieurs niches dans un autre mur exposent quelques rares objets, notamment un maillot du club de football de la ville, l’Olympique lyonnais (ill. 4), des cartes postales et un saucisson (nous ne plaisantons pas). Tout cela n’a pas grand sens, et ce n’est que le début.


5. Salle 2 du Musée Gadagne (la salle 3 est sur le même modèle)
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Car on est dans un musée de l’histoire de Lyon n’est-ce pas ? Donc l’histoire de Lyon vous est contée dans les deux salles suivantes (ill. 5). Une histoire de Lyon très résumée, il est vrai. Chaque grande période historique est décrite en un panneau (nous verrons comment), avec une photo d’un personnage en costume d’époque, une vue aérienne de Lyon censée donner l’aspect de la ville à l’époque concernée, et une vitrine (il y en a donc autant que de période chronologique évoquée) contenant une ou des clés et une chaussure (ill. 6 à 9). Pourquoi une chaussure et des clés ? Parce que, si l’on en croit le dossier de presse, cela « ajoute une trace sensible et humaine ». Et pour permettre - nous ne plaisantons pas, c’est écrit dans les vitrines - de « découvrir les clés de la ville [en] entr[ant] pas à pas dans l’histoire ». Au Musée Gadagne, on n’a pas peur du ridicule.


6. Keys and a child’s shoe
Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
7. Une chaussure et des clés
Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

8. Un sabot et des clés
Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
9. Une basket et des clés
Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

10. Comment Lyon est devenu Lyon ?
(oui, comment ?)
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Heureusement, il y a les panneaux qui nous résument (c’est un euphémisme) l’histoire de la ville sur plusieurs siècles. Nous découvrons donc (ill. 10) comment Lyon est devenu Lyon avec des révélations bouleversantes : « La ville d’aujourd’hui est le fruit de longues évolutions ». C’est à peine croyable. « Au carrefour du Nord et du Sud, sa situation géographique est à la fois favorable et contraignante, entre trois collines et au confluent du Rhône et de la Saône ». On apprend au moins, pour ceux qui ne le savent pas, que Lyon est construite sur trois collines et au confluent de deux cours d’eau [1]. « En près de 2000 ans de développement continu, la cité romaine de Lugdunum est devenue la cité actuelle ». Rendez-vous compte : la ville d’il y a 2000 ans a évolué pour devenir le Lyon d’aujourd’hui ! Il a fallu sans doute beaucoup de réflexion et de recherche pour écrire une phrase comme celle-ci. Mais le meilleur vient à la fin de ce long et instructif cartel : « Dans ses murs et sur son sol, ses transformations laissent pour chaque époque des traces de l’architecture et de l’activité de ses habitants ». Nul doute qu’un élève de troisième qui écrirait pareil truisme dans une copie aurait une note pas très brillante. Rappelons que nous sommes dans un musée dont l’objectif est d’éduquer et d’assurer un accès de tous à la culture et que cela s’appuie (dixit le dossier de presse) : « sur une démarche interdisciplinaire de recherche et d’entretiens préalables menés auprès de plus d’une centaine d’expert·es et de chercheur·es [2] ». À cela, Xavier de la Selle nous a répondu qu’il fallait lire les livrets de salle, paraît-il bien plus riches. Mais depuis quand va-t-on au musée pour lire des livrets au lieu de voir des œuvres ?

11. L’histoire de Lyon au Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Les panneaux consacrés aux périodes chronologiques sont du même niveau. Voilà par exemple (ill. 11) comment sont résumés dix siècles d’histoire de la ville, « du 4è siècle au 14e siècle » (car évidemment les chiffres romains, trop complexes, sont proscrits) : « Après plusieurs siècles de repli, Lyon connaît un nouvel essor autour de l’an 800. La Saône constitue l’artère centrale de la ville de part et d’autre de laquelle se développent deux centres : le quartier épiscopal autour de la cathédrale Saint-Jean qui concentre les pouvoirs de l’Archevêque et en face, le bourg médiéval sur la presqu’île où se situent les activités commerciales et artisanales. À partir du 12e siècle, Lyon connaît un rapide développement urbain. Mais limitée au sud par la confluence et à l’est par le Rhône, véritable frontière naturelle, la ville ne peut encore pas s’agrandir. Elle va alors se densifier ».

Entendons-nous bien : un musée n’a pas à devenir un livre d’histoire. Il doit illustrer son propos avec des œuvres. Mais ici le propos est d’une simplicité confondante, et les œuvres sont totalement absentes.

Pour la période 1957-2015, voilà ce que dit le texte de salle : « Dans les années 1960-1970, le maire Louis Pradel imagine une ville tournée vers la modernité. Les quais sont dédiés à la circulation et au stationnement des voitures et le métro dessert le centre ville. De grandes barres d’immeubles sont construites et le nouveau quartier de la Part-Dieu devient un deuxième centre administratif et économique. À partir des années 2000, les projets de requalification urbaine comme celui du quartier Confluence se multiplient. La ville retrouve une proximité avec ses cours d’eau grâce au réaménagement des rives du Rhône et de la Saône. Des tours dessinent progressivement une nouvelle skyline. En 2015 la Métropole de Lyon est créée ».
Rappelons que nous sommes dans l’hôtel Gadagne, dans le Vieux-Lyon : pas un instant n’est ici rappelé que ce quartier a failli disparaître par la volonté de Louis Pradel, le maire dont vient de parler ce panneau, et n’a pu être sauvé que grâce à la mobilisation des défenseurs du patrimoine et à la création du premier secteur sauvegardé de France. Aujourd’hui le Vieux-Lyon est classé au patrimoine mondial de l’humanité.


12. La salle 4 du Musée Gadagne
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

La dernière salle (ill. 12) est tout aussi dépourvue d’œuvres que les autres, à l’exception de la belle cheminée du XVIe siècle qui n’est guère mise en valeur, derrière une grande photo de la ville et une « maquette interactive de la ville de Lyon » « de dimensions généreuses (sic) ». Nous poursuivrons dans les jours qui viennent cette désolante visite du Musée Gadagne, en montant au niveau supérieur. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises...

Didier Rykner

Notes

[1Note ajoutée le 24 décembre : évidemment, Lyon est construite sur deux collines et non trois.

[2Le caractère stupide de l’écriture inclusive apparaît ainsi dans ce texte où on peut lire ainsi « chercheur·es » et « visiteur·euses », soit deux manières de rendre « inclusifs » des mots pourtant formés sur le même modèle... Un peu plus loin, on lit « restaurateur·trices spécialis·es ». Où est passé le « é » de « spécialisé » ? Même ses promoteurs ne savent pas écrire cette écriture « inclusive », en réalité très exclusive.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.